Gilbert GHrandguillaume

Anthropologue arabisant,
spécialiste du Maghreb et du Monde arabe.

Nedroma, l'évolution d'une médina Arabisation et politique linguistique au maghreb Sanaa Hors les murs
Bibliographie Compte-rendus Entretiens Préfaces en arabe   باللغة العربية

Articles
LES PROBLEMES DE L'ARABISATION
Gdg[1].1977d.doc
Référence : « Les problèmes de l’arabisation », in Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, chapitre II, p.29-44. Première version de ce texte : « Pour une anthropologie de l’arabisation au Maghreb », Peuples Méditerranéens, N°1, octobre-décembre 1977, p.95-119.

Le problème de l’arabisation au Maghreb, par les multiples aspects qu’il revêt, par les questions qu’il pose, par les référents fondamentaux qu’il met en jeu, représente actuellement un point de vue central pour observer et tenter d’analyser le devenir culturel des sociétés maghrébines, à la fois dans son actualité la plus brûlante, et dans ses structures les plus radicales. On constate aujourd’hui que, dans les trois pays du Maghreb, Tunisie, Algérie, Maroc, elle constitue un dogme intangible, un objectif indiscutable de la construction nationale, au même titre que l’indépendance politique qui en fut la pierre angulaire. A ce titre, elle forme le substrat du discours officiel du pouvoir national dans le domaine culturel, appuyé sur la conscience de refléter une demande essentielle de la ‘base’. Mais à cette forte affirmation de la légitimité d’une langue nationale, correspond une lenteur dans la mise en œuvre, l’expérience d’une extrême difficulté à se détacher du français, voire parfois la conscience d’une sourde résistance au processus engagé, d’un complexe d’attirance et de répulsion pour l’arabe, qui fait que, dans chacun des trois pays, la pratique passée, présente et prévisible est une insertion toujours plus grande dans une position de bilinguisme, qu’il s’agisse de la pratique administrative, de la vie économique, de l’environnement ou du système d’enseignement.
Cette contradiction entre une volonté affirmée et des positions pratiques fait soupçonner l’existence d’un conflit latent, non déclaré, voire inconscient, la réalité d’une tension sur les objectifs profonds d’une société.
1. Le fait de l'arabisation
Dans les trois pays du Maghreb, l'arabisation est un problème qui se pose à des nations qui ont vécu une période de colonisation, durant laquelle la langue officielle a été le français. C’est ainsi que, lors de leur accession à l’indépendance - 1956 pour la Tunisie et le Maroc, 1962 pour l’Algérie- elles se sont trouvées dotées de structures administratives, de systèmes d’enseignement, d’institutions économiques totalement dominés par la langue française. Certes, dès le début, une volonté d'arabisation s’est manifestée et a été officiellement affirmée, dans le sens de la revendication d’une décolonisation culturelle, devant se concrétiser par l’adoption d’une langue nationale : l’arabe. C’est pourquoi, dans les trois pays, des mesures plus ou moins radicales ont été adoptées, ayant pour objet de faire tenir à la langue arabe toutes les fonctions exercées par la langue française durant la colonisation. Concrètement, cette action se manifeste dans trois secteurs : le système d’enseignement - l’objectif étant de donner au français un statut de langue étrangère, éventuellement privilégiée, mais non de langue d’enseignement -, l’administration, où la langue de travail et de communication avec les administrés devrait être l’arabe, et l’environnement, terme large qui désigne l’ensemble de la vie publique, s’étendant de la langue utilisée par les diverses entreprises industrielles ou commerciales, à celle qui est pratiquée par les mass-média et dans les principales manifestations de la vie publique.
Dans les premières années qui suivirent l’indépendance, l’imprégnation du français était tellement pesante que cet objectif de l'arabisation n’était proposé qu’à long, terme, de sorte qu’aucun pays ne prit en ce domaine de mesures radicales (qui auraient été peut-être la seule chance de réaliser une arabisation rapide). Bien plus, l’unanimité était loin d’être réalisée en faveur de la mise en place effective d’un plan d’arabisation, fût-ce par étapes. Il semble que ce ne soit qu’à l’époque actuelle, qu’on ait vu se stabiliser une certaine position officielle suffisamment forte pour que sa contestation ouverte s’avère impossible. Certes, les lenteurs, les tiédeurs dans la mise en pratique font soupçonner que cet accord apparemment unanime n’est maintenu que sous l’effet d’une pression assez forte pour ne pouvoir être défiée. L'arabisation étant ainsi devenue un dogme, au même titre que l’indépendance nationale dont elle représente le volet culturel, les divers gouvernements peuvent procéder à la mise en place de mesures dont on peut penser que, si elles procèdent d’une volonté d’indépendance politique, elles ne s’en articulent pas moins sur les méandres de leur politique globale.
Nous examinerons plus loin quel est l’état actuel de la mise en place de ces politiques d’arabisation. Il est toutefois possible d’en dessiner les grands traits. En ce qui concerne les systèmes d’enseignement, les trois pays ont maintenu une option pratique en faveur du bilinguisme. L’enseignement primaire débute par deux ou trois années totalement en arabe, et se termine par trois ou deux années partie en français, partie en arabe. Même bilinguisme de fait dans le secondaire : français et arabe sont enseignés à tous les élèves, mais la langue d’enseignement des matières scientifiques et techniques est le français, tandis que celle des matières littéraires est l’arabe. Dans l’enseignement supérieur, à part quelques exceptions, le même principe de répartition linguistique est maintenu, mais l'arabisation prévue des lettres et sciences humaines, si elle est en bonne voie, n’est pas totalement réalisée. Quant à l’administration, si des directives ont partout été données en vue de son arabisation, l’application est loin d’avoir suivi, et, à part quelques ministères plus directement au contact de la population (tels que la Justice ou l’Intérieur), l’emploi du français reste majoritaire, parfois exclusif parfois allié à l’arabe (comme dans les ministères de l’Enseignement). Enfin, l’environnement reste bilingue. Radio et télévision émettent en arabe et en français, la presse paraît dans les deux langues, les grandes entreprises industrielles et commerciales travaillent presque exclusivement en français.
Il faut ajouter que si l’Algérie, du fait d’une colonisation plus longue, s’est trouvée davantage coupée de la culture et de la langue arabes que ses deux voisins, elle n’en a ressenti que plus intensément ce désir de retour aux sources, et elle tend à compenser ce handicap par des mesures plus radicales qui lui font souvent jouer un rôle d’entraînement en ce domaine.
En résumé, nous nous trouvons au Maghreb devant une volonté officielle d’arabisation, et une situation de bilinguisme qui résulte parfois d’un héritage historique, parfois d’une nécessité subie (telle que le recours à la coopération), parfois d’une option (telle que celle qui concerne les enseignements scientifiques), parfois d’une volonté délibérée, liée à une méfiance de principe vis-à-vis de la langue et de la culture arabes.
Arabisation ou réarabisation ?
S’agit-il au Maghreb, dans la phase actuelle, d’une arabisation ou d’une réarabisation, à la suite d’une francisation imposée par le régime colonial? A première vue, la question paraît appeler une réponse évidente : la colonisation a dépouillé ces pays de leur langue et de leur culture, elle a tout fait pour les rejeter dans les oubliettes de l’histoire, la tâche des pays indépendants consiste donc à récupérer langue et culture : il s’agit donc bien d’une réarabisation.
En réalité, la question est plus complexe. Certes un retour aux sources, à la langue des origines, apparaît rassurant et se présente comme fondamentalement légitime. Mais concevoir l’arabisation comme un retour à un état de culture et de langue précolonial, n’est, bien évidemment, qu’un leurre. Pour ne parler que de la langue, celle-ci doit exprimer aujourd’hui un monde totalement différent de ce qu’il fut naguère, en particulier, son emploi à la place du français la conduit à exprimer des réalités nouvelles par rapport au fond linguistique arabe traditionnel. Il y a bien réarabisation au sens d’une restauration de la langue arabe comme langue de culture, mais non au sens de la pure résurgence d’une situation linguistique passée.
Arabisation : traduction ou conversion?
Cette question renvoie à une question encore plus fondamentale : quel est le sens profond de cette mutation linguistique ? De quoi s’agit-il dans cette opération d’arabisation ? Vers quel objectif tend-on ? Ici, il semble que la réponse ne peut qu’osciller entre deux pôles extrêmes, deux conceptions de l’arabisation, dont aucune en réalité n’est réalisable au sens strict : l’une serait une arabisation - traduction, qui consisterait à vouloir dire les mêmes choses en arabe qu’en français : elle viserait essentiellement à intégrer dans l’outil linguistique arabe toutes les données nouvelles - linguistiques, mais aussi culturelles au sens large - introduites dans le milieu social par l’intermédiaire de la langue française, à faire de l’arabe ‘la langue du fer et de l’acier’, selon l’expression du président Boumediene : on ne pourrait guère alors parler de réarabisation comme restitution d’un passé, mais d’arabisation d’un acquis étranger. L’autre pôle serait une arabisation-conversion, celle qui traduirait la volonté de dire autre chose en arabe qu’en français, de référer à des données culturelles différentes de celles qui furent introduites par la langue française. Cette conception semble être celle qui confère le plus de signification à l’arabisation, celle qui est le plus revendiquée dans la mesure où elle exprime une volonté de différence : elle serait véritablement une réarabisation, au sens de retour à soi-même, de retour à l’authenticité. Encore faut-il savoir si l’authenticité se situe dans le passé, dans le pré-colonial ou si elle est à rechercher dans les valeurs du présent.
Entre ces deux pôles extrêmes, le choix n’est pas fait, et la démarche d’arabisation –pour ne pas dire les débats qu’elle a suscités- oscille constamment. Les options prises expriment manifestement une volonté de ne pas choisir : il est caractéristique qu’en matière d’enseignement, on s’empresse d’arabiser les matières littéraires ou philosophiques, celles qui touchent aux valeurs morales et à l’idéologie (dans une optique d’arabisation-conversion ou de rearabisation), en modifiant le contenu des programmes, et non seulement la langue d’enseignement, tandis que les matières scientifiques continuent à être enseignées en français (alors qu’elles relèveraient d’une arabisation-traduction ou arabisation au sens propre).Peut-être ces dispositions révèlent-elles en fait une préférence latente pour l’arabisation-conversion, et décèlent-elles la véritable visée de l’arabisation dans l’esprit de ses promoteurs.
Cette dernière conception réfèrerait ainsi à une identité culturelle spécifique, liée à une langue spécifique. C’est pourquoi l’alternative ouverte devant l’arabisation entre conversion et traduction renvoie au problème fondamental de l’orientation et du devenir des cultures. Va-t-on vers une convergence, une uniformisation des cultures comme tendrait à la suggérer la standardisation de la production et de la consommation ? dans ce cas, l’arabisation serait une arabisation-traduction, exprimant en un idiome spécifique un contenu culturel mondial : mais dans ce cas, le passage par la langue arabe risquerait de ne paraître qu’un détour inutile. Va-t-on vers le maintien du pluralisme des cultures? on se trouverait alors dans le cas d’une arabisation-conversion, visant à maintenir une identité culturelle spécifique. Ici se pose une autre question : de quelle conversion peut-il s’agir ? Conversion à soi-même ? Conversion vers quelle identité ? C’est dans ce cadre que s’inscrit une réflexion anthropologique sur l’arabisation, qui analyse les rapports entre langue, identité et pouvoir ; il est important de la situer au préalable par rapport aux aspects linguistiques et sociologiques du problème.
2. Aspects linguistiques de l’arabisation
S’il ne fait pas de doute que l’arabisation est un problème linguistique, ce serait une erreur - ou un calcul - de prétendre qu’elle n’est que cela. Dans cette perspective il est utile de marquer les aspects essentiels de la question linguistique.
La situation linguistique du Maghreb est caractérisée par le double phénomène de bilinguisme et de diglossie. Dans ce contexte, l’opération d’arabisation vise le changement de langue officielle, en ce sens qu’elle doit, à terme, donner à l’arabe écrit toutes les positions linguistiques actuellement tenues par le français. Mais elle n’est pas non plus sans influence sur la situation de diglossie. Si dans d’autres régions du monde arabe, telles que le Kurdistan en Irak, l’arabisation vise explicitement à la liquidation des parlers non-arabes, au Maghreb, la menace sur les parlers berbères, voire sur les dialectes arabes, n’est pas exclue, loin de là, du champ des consciences, sinon des perspectives explicites. D’autre part, la même menace, sous forme de méconnaissance, plane sur les dialectes arabes lorsqu’un certain discours officiel tend à faire passer l’arabe classique pour la langue maternelle, l’argument de la langue maternelle étant l’un de ceux qui sont le plus fréquemment avancés par les tenants de l’arabisation.
Les principaux problèmes linguistiques, par rapport à l’arabisation , sont donc ceux que pose l’écart –et son éventuelle réduction- entre dialecte et classique d’une part, entre langue arabe et français, de l’autre.
S’il était de bon ton autrefois d’insister sur la cassure existant ente arabe classique et dialecte, il semble bien que l’évolution actuelle contribue à sa réduction progressive. La généralisation de l’enseignement de l’arabe, l’extension des mass-media contribuent à étendre la connaissance d’un arabe intermédiaire bien différent de l’usage emphatique que les Maghrébins faisaient d’une langue sacrale. Ainsi, il est possible que peu à peu, le passage d’une langue à l’autre ne pose plus d’autre problème que celui de la distinction de niveaux de langue, et que cette soudure constitue une étape dans une évolution vers de véritables langues nationales.
Le remplacement du français par l’arabe suppose une connaissance généralisée de l’arabe littéral ou intermédiaire, mais avant tout une capacité effective de cette langue à exprimer toutes les données nécessaires au contexte moderne. Un problème important est dès lors d’introduire massivement dans l’arabe tout un vocabulaire –celui de la ‘civilisation moderne’- qui n’y figurait pas (opération dans laquelle le Maghreb se trouve très en retard sur le Machrek). C’est à quoi s’emploient de nombreux linguistes qui produisent des lexiques en tous genres, recueils d’innovations techniques- dits mustalahât. Mais cette opération de création de mots nouveaux bute elle-même sur un problème de fond : la logique exigerait que cette création soit unifiée, le même mot étant reconnu par tous les utilisateurs de la langue arabe ; des considérations non-linguistiques ont fait qu’il n’y a pas d’Académie arabe unique. Ainsi une vision idéale d’unité se heurte à la réalité de l’évolution actuelle, qui fait que, dans un monde où l’élément dynamique est l’instance nationale, la réalité linguistique vivante ne peut que se situer dans le cadre d’une langue nationale, là où la langue classique est susceptible d’intégrer des éléments du dialecte local.
Quant à la généralisation de la connaissance de l’arabe classique, elle est visée à travers les structures d’enseignement et certaines tentatives d’enseignement de l’arabe aux adultes, dans l’administration en particulier. Les trois pays ont entrepris d’accroître l’importance de la langue arabe comme langue d’enseignement, tâche relativement aisée dans la mesure où il suffit de l’ordonner et de trouver les moyens pédagogiques de l’appliquer, notamment de recruter les enseignants. Les tentatives d’alphabétisation en arabe, et d’enseignement de l’arabe aux adultes sont restées très timides et ont trouvé peu d’écho parmi les intéressés. Mais, qu’il s’agisse de celles-ci ou de l’enseignement, le gros écueil demeure le retard pédagogique qui affecte cet enseignement, demeuré formel, parfois hiératique, et rarement adapté au monde moderne et aux conditions d’apprentissage et d’utilisation d’une langue à notre époque.
2. 3.Aspects sociologiques de l’arabisation
D’un point de vue sociologique, l’arabisation au Maghreb apparaît à la fois comme le lieu d’expression du discours idéologique national, et comme le champ clos des tensions socio-idéologiques. Elle est de toute façon profondément intégrée, à l’intérieur de chaque nation, dans l’univers des luttes sociales, en particulier par le jeu de la sélection sociale.
La face culturelle de l’indépendance L’arabisation est souvent présentée, par les responsables et les idéologues, comme la face culturelle de l’indépendance, élément complémentaire de l’indépendance politique et économique. Le maintien de la langue française dans d’importants secteurs est perçu comme un résidu de l’ancienne domination, d’où la nécessité de lui substituer une langue nationale. Pour les pays de tradition historique arabo-islamique, où la langue arabe a toujours représenté une langue de culture et d’administration, cette volonté de re-situer l’arabe dans ses fonctions de langue officielle ne peut apparaître que légitime : Sous cet aspect, l’objectif de l’arabisation peut être proposé aux citoyens avec le même caractère absolu que l’indépendance, comme un objectif dont la contestation éventuelle ne peut porter que sur les délais et les modalités de sa mise en application. Toutefois si l’instauration d’une langue nationale est un élément indispensable d’une construction nationale, elle représente en même temps l’un des moyens par lesquels un pouvoir national central établit et renforce son contrôle sur l’ensemble du pays.
De fait, on constate que le discours sur l’arabisation fait partie de la batterie d’arguments sur lesquels le pouvoir s’appuie pour assurer sa légitimation. Le principal argument est l’acquisition et la préservation de l’indépendance dans tous les domaines; cette cause sacrée de la lutte contre les menaces extérieures permet aux gouvernants de refuser toute contestation à l’intérieur, tout ce qui, conduit à les mettre en cause, comme le fait d’une collusion avec les ennemis de l’extérieur, avec les forces de l’impérialisme ou du totalitarisme, selon les cas.
L’analyse sociologique a depuis longtemps montré que la situation n’est pas aussi limpide et que les pouvoirs d’Etat, s’ils luttent effectivement pour la préservation de l’indépendance nationale, sont en même temps les intermédiaires, les relais d’influences extérieures. Il faut bien reconnaître que si, au plan idéologique, l’indépendance représente une puissante force mobilisatrice, sa réalisation demeure problématique, particulièrement dans le domaine économique et culturel : on pourrait dire qu’elle est presque plus proche du mythe que de la réalité. De même que le développement économique consiste dans une large mesure à faire entrer le pays dans le domaine des échanges internationaux et de la dépendance, de même le développement culturel s’actualise dans l’ouverture du pays à la culture ‘moderne’. Ainsi la revendication d’indépendance représente surtout, dans la réalité, une tentative pour limiter les effets de la dépendance de fait.
Dans le cas du Maghreb, et s’agissant de l’arabisation, elle ne peut que viser à résorber les séquelles de la dépossession linguistique introduite par la colonisation, dépossession concrétisée par la prééminence du français.
Il faut toutefois remarquer à ce sujet que si l’imposition coloniale du français a correspondu à une volonté positive d’impérialisme culturel, dont les mécanismes ont souvent été analysés et qui justifie la revendication actuelle d’indépendance culturelle, elle a en même temps servi de moyen d’introduction à une culture différente –qualifiée, selon les cas, de moderne, de scientifique de technique ou d’occidentale- qui se trouve intégrée dans les objectifs actuels de développement du pays, et qui, comme telle, non seulement n’est pas refusée, mais continue à être souhaitée, appropriée, adoptée, la crainte d’une coupure d’avec cet ‘autre monde moderne’ a été à la source des réserves, voire des angoisses, ressenties dans la population à la perspective d’une arabisation totale. Il faut ajouter aussi qu’une arabisation, quelle qu’elle soit, ne pourra être totale que si elle fait manifestement la preuve de sa capacité à assumer, linguistiquement et culturellement, tout l’apport moderne véhiculé dans les schèmes et dans les mythes du développement. En attendant, on constate que, dans les trois pays du Maghreb, si l’objectif de l’arabisation est solidement et fermement maintenu à l’horizon des perspectives nationales, les positions adoptées font preuve d’une grande circonspection, se fondent sur un bilinguisme de fait qui attribue à l’arabe le secteur social et culturel, au français le secteur économique et financier.
Par ailleurs, s’il est certain que, dans les milieux français, l’arabisation n’a pas bonne presse, que l’on éprouve du désagrément à voir d’anciennes colonies ‘retourner à l’arabisme’, dans l’étape actuelle, les pressions susceptibles d’être exercées de l’extérieur - sous le couvert notamment de la coopération- sont relativement faibles, dans la mesure où la France ne dispose pas des moyens matériels nécessaires pour fournir à ces pays le nombre de coopérants qu’ils réclament, et tend à se désintéresser d’une influence culturelle non directement liée à des objectifs économiques. Aussi, l’indépendance à recouvrer, lorsqu’elle est débarrassée des mythes des discours officiels, apparaît surtout comme un objectif d’ordre interne, visant les modèles culturels et idéologiques inculqués et les intérêts des groupes qui utilisent la langue française dans leur stratégie au sein de la nation.
Le champ clos des conflits
La question de l’arabisation en tant que telle est en effet profondément imbriquée dans le champ des oppositions internes, des luttes de classes, des tensions idéologiques et des compétitions entre groupes ; elle représente un enjeu dans la lutte pour le pouvoir, à ses divers niveaux, depuis celui du simple emploi –on parle de la ‘langue du pain’- jusqu’à celui des stratégies de reproduction des élites au pouvoir.
Chaque pays du Maghreb a connu, dans ses organes de presse et dans sa vie politique, des phases plus ou moins aiguës de débats autour de l’arabisation. Si des oppositions ouvertes se sont parfois affichées dans les premières années de l’indépendance, on peut dire que, actuellement, l’affaire est close au niveau du débat public, en ce sens qu’aucun individu ou groupe ne peut prendre parti contre l’arabisation sans être soupçonné de tiédeur vis-à-vis de la cause nationale et être de ce fait facilement discréditable. Il n’est pas certain qu’il faille se féliciter de cette clôture _ ou de ce refoulement ? - dans la mesure où elle n’exprime pas une unanimité réelle : les réticences prennent les chemins détournés de la critique sourde, du ralentissement, voire du sabotage des mesures prises. L’unanimité manifestée à propos de l’objectif correspond davantage à un accroissement de la pression du pouvoir national sur l’opinion, qui impose sur la question, un profond refoulement : question grave qui ne saurait être éludée dans le cadre d’une réflexion sérieuse sur le problème et dans la perspective d’une démocratisation réelle de la vie publique.
L’arabisation : un enjeu de classe ?
L’analyse sociologique devrait pouvoir situer clairement les conflits apparus autour de l’arabisation dans une perspective globale de luttes de classes. Qu’en est-il réellement ?
Il faut d’abord remarquer qu’une telle préoccupation n’a pas été absente chez les chercheurs, mais qu’aucun d’eux n’a réussi à l’atteindre. C’est le cas en particulier des brillantes études de Salah Garmadi[1], Ahmed Moatassime[2] et, plus récemment, Salah Hamzaoui[3]. L’analyse des intérêts des groupes ou de classes doit se contenter de s’appuyer sur des catégories socio-idéologiques en rapport avec des positions linguistiques précises, favorables ou défavorables à l’arabisation, généralement couplées avec l’opposition traditionaliste - moderniste ou islamique- laïque.
Cette situation peut s’expliquer de deux façons, qui ne sont d’ailleurs pas exclusives ; dans des sociétés mouvantes et dominées comme celles du Maghreb, les analyses de classes tentées sur les modèles classiques sont difficiles à conduire jusqu’au degré de précision qui les rende opératoires. A cette imprécision s’ajoute une incertitude théorique : est-il certain qu’à une classe ainsi définie correspondent des intérêts linguistiques précis ? Autrement dit, l’enjeu linguistique ne peut-il être utilisé, à des fins de pouvoir, par des classes sociales opposées et pour des objectifs divers ? Il le semble bien ; l’utilisation qui en est faite au plan de la sélection le montre bien.
L’arabisation et la sélection sociale S’il est un terrain sur lequel l’analyse sociologique s’avère éclairante, c’est bien sur le rôle que joue l’arabisation en tant qu’instrument de sélection sociale, et sur les fonctions respectives du français et de l’arabe dans la promotion sociale. En effet, l’utilisation quasi-exclusive du français dans l’enseignement scientifique et technique, jointe à son emploi généralisé dans le secteur de la vie économique et même de l’administration, fait jusqu’à ce jour, de cette langue, la langue de la réussite sociale, quand ce n’est pas tout simplement la ‘langue du pain’, la langue qui permet l’emploi. L’examen détaillé des structures d’enseignement, des systèmes de sélection scolaire à ses différents degrés, montre que la langue française, dans un contexte d’arabisation de l’enseignement, joue comme moyen de sélection, au bénéfice des couches sociales favorisées. L’arabisation tend à être perçue de cette façon même par les couches défavorisées, lorsque la couverture de l’idéologie ne leur voile pas totalement la réalité. En effet, quoi de plus irréprochable, quoi de moins contestable qu’une sélection sociale réalisée sous le noble prétexte de retour à l’authenticité ? On saisit ici l’ambiguïté de la question posée précédemment : quelle classe réclame l’arabisation, quelle classe y a intérêt ? En réalité, les couches dominées réclament l’arabisation, en espérant qu’elle rétablira l’égalité des chances, tandis que les couches dominantes l’accordent, en sachant que leurs enfants y échapperont, et qu’elle permettra de maintenir les enfants des autres classes en dehors de la compétition. Etant donné l’importance des systèmes d’enseignement dans la stratégie de reproduction des classes, il est donc nécessaire de s’interroger sur la fonction réelle assumée par l’arabisation dans ce contexte.
L’arabisation est-elle réactionnaire ou progressiste ?
Durant de nombreuses années, le débat sur l’arabisation a opposé des traditionalistes à des modernistes. Il est certain que les milieux conservateurs, favorables à l’instauration d’une société islamique dans son droit et ses mœurs ont toujours considéré l’arabisation comme l’une de leurs revendications essentielles. Les milieux dits progressistes, de leur côté, ont craint cette virtuelle confessionalisation de la société, et l’appui que pouvaient trouver dans l’arabisation les partisans du maintien des situations acquises, qualifiés selon les cas de féodaux ou de bourgeois.
L’évolution récente tend à échapper à cette dichotomie manichéenne. Avec le temps, l’arabisation est davantage rapportée à des motivations laïques, telles que la décolonisation ou le nationalisme, qu’à ses appuis islamiques ancestraux. Face au courant traditionaliste, on voit maintenant un courant progressiste réclamer l’arabisation au nom de la démocratisation de l’enseignement[4]. Cette nouvelle perspective, même si elle est pour l’instant minoritaire et diversement représentée selon les pays, permet à l’arabisation de ne plus apparaître seulement comme une menace de confessionnalisation de la vie publique, voire de renfermement ou de retour au Moyen-Age.
Au nom de quoi l’arabisation est-elle revendiquée fondamentalement ? Au-delà des motifs et des intérêts particuliers que nous venons d’évoquer, la cause essentielle pour laquelle l’arabisation est souhaitée est la conformité à une personnalité nationale, le retour à une identité culturelle, la préservation d’une authenticité. Ces ressorts profonds qu’utilisent tant les pouvoirs nationaux que les groupes de pression, à quoi correspondent-ils ? A quel contenu renvoient-ils? Nous abordons ici le champ d’une interrogation anthropologique.
4. Perspectives anthropologiques sur l’arabisation
Une réflexion anthropologique doit porter sur les enjeux profonds qui interviennent, à titre de dit ou de non-dit, dans le problème de l’arabisation[5]. L’importance de ces enjeux peut être évaluée à l’intérêt porté par l’ensemble d’une population, dans toutes ses catégories sociales , à la passion, voire à l’inquiétude qu’elle suscite. En ce qui concerne l’arabisation ; il est bon de partir de quelques questions simples : pourquoi représente-t-elle un problème aussi sensible ? Pourquoi, après avoir fait l’objet d’une longue contestation, est-elle devenue un dogme infrangible, ne supportant plus discussion ni remise en cause ? Pourquoi en parle-t-on toujours et fait-on si peu effectivement pour la réaliser, au niveau de moyens efficaces ? Pourquoi semble-t-elle incarner un objectif qui à la fois effraie et attire ? Finalement, à quoi touche-t-elle de si profond pour représenter un tel enjeu dans la vie politique ?
Telles sont les questions autour desquelles il est utile de développer une recherche : car il ne suffit pas de dire quels sont les avantages qu’on attend de l’arabisation, il faut aussi dire ce qu’on en craint. Il faut aller jusqu’à reconnaître qu’au delà d’intérêts politiques et économiques réels, il y a tout un monde de mythes de fantasmes, de choses perçues plus ou moins confusément, de désirs ou de phobies refoulés dans l’inconscient de la culture. A côté du discours officiel riche en propositions glorieuses et héroïques, il y a ce que ce discours ne permet pas de dire, ce qu’il a étiqueté comme honteux, antinational, obscurantiste, arriéré, réactionnaire, sauvage : un monde qui constitue de larges pans de l’édifice culturel, du non-dit collectif, refoulé en partie par l’ancien pouvoir colonial, en partie par le pouvoir national actuel.
Si une problématique ainsi entendue concerne fondamentalement les rapports entre langue et pouvoir, le pouvoir de la langue et la façon dont le pouvoir l’utilise, il semble qu’on puisse centrer les interrogations vers trois directions, qui sont trois lieux où la langue concerne le pouvoir : le rôle que joue la langue arabe comme agent unificateur ; celui, dérivé du précédent, qu’elle assume comme garant d’une certaine identité ; enfin le rapport de la langue à la loi, dans la mesure où la langue est toujours l’imposition d’une loi.
La langue arabe comme agent unificateur L'arabisation s’articule essentiellement sur deux éléments : l’Islam et la nation. La langue arabe opère en effet comme agent unificateur à ces deux niveaux ; elle intervient à ce titre dès l’origine de l’Islam, elle intervient à nouveau, dans la phase actuelle de structuration de l’idéologie nationale.
Des liens profonds s’établissent entre Islam et langue arabe. L’arabe est d’abord la langue de la révélation, du Coran, sa constitution comme langue savante, à partir d’un parler particulier, est liée aux nécessités de la conservation et de l’explication du message sacré. Or ce message est avant tout un message d’unité : proclamation d’un Dieu unique, mais aussi de l’unité des groupes, des tribus, des nations : unité qui se pense toujours comme une unité religieuse, venant se substituer à la multiplicité des ethnies et à leur antagonisme. Dans cette lutte sans cesse à reprendre, contre les particularismes ethniques, tribaux, la langue arabe est l’associée de l’Islam. Sa position de langue sacrée, puis de langue de culture, la soustrait à l’usage commun et à l’économie du langage, qui entraîne le changement. Elle lui permet de garder, à l’instar de la doctrine, une certaine rigidité[6], de telle sorte que, avec l’expansion de l’arabe et sa diversification en dialectes, elle demeure le référent. Il est renvoyé ici à une représentation imaginaire de la langue, et non pas à la réalité de l’évolution historique qui a conduit à la diversification des dialectes. Cette représentation correspond à un schéma d’arbre généalogique, où les dialectes représentent les ramifications, les vivants, mais aussi le dégradé par rapport à la pureté de l’origine, tandis que la valorisation suprême se fait par la référence à l’origine. On constate la similitude de ce schéma avec les pratiques généalogiques arabes : le soin mis à établir une généalogie, à en retenir la chaîne - nasab -, à se relier à un ancêtre illustre qui « valorise » toute la chaîne, au point que, dans les affrontements entre vivants l'arbitrage est confiée à l’Absent[7]. A des chaînes laïques reliant à des ancêtres historiques ou mythiques, la tradition arabe a associé, en leur donnant la prééminence, des chaînes islamiques, établissant une relation au prophète ou à ses compagnons : le « lignage islamique » tendant à supplanter le lignage ethnique. Il en est de même pour les langues : dans l’évaluation mutuelle de leur «dignité», de leur «pureté», les divers parlers arabes se classent par leur plus ou moins grande proximité de l’arabe classique, langue sacrée du Coran. Ainsi, dans la diversité actuelle des parlers arabes, la langue classique symbolise l’origine, présente parmi les vivants : peut-on dire aussi qu’elle représente l’Ancêtre, qui valorise le présent ?
Ici se greffent un certain nombre d’interrogations, qu’on ne peut pour l’instant que poser : comment interpréter cette référence à l’Ancêtre ? Quelle signification donner à une langue mère, dont on constate la fonction à la fois unification et valorisante du présent ? Que signifie, dans le même temps, cette suspicion contre le pluralisme, cette suspicion qui pèse sur les dialectes, supports linguistiques des particularismes, suspicion profondément ancrée dans la tradition jusqu’à ce jour ?
A cette fonction d’unification idéologique dans le cadre de l’Islam, jouée par la langue arabe depuis des siècles, se superpose, de nos jours, une autre fonction d’unification, dans le cadre de la nation, de chaque nation du Maghreb, même si une référence plus large à une nation arabe n’est pas exclue. Dans ce contexte, l'arabisation est préconisée comme surgissement d’une langue nationale, à la fois comme affirmation de soi face à l’étranger (dans l’opposition arabe-français), et dans la fonction d’unification interne (dans une certaine opposition aux dialectes).
Le rôle essentiel joué par la langue dans la constitution d’une nation est un phénomène bien étudié, spécialement à propos de l’expansion du français sur tout le territoire, à partir de la Révolution française, et durant l’expansion du système scolaire sous la IIIe République[8]. De ces études, il ressort que le phénomène d’unification linguistique au titre de langue nationale comporte trois aspects essentiels :
- une unification linguistique nécessaire pour que la base puisse entendre le pouvoir national.
- au delà de cette simple compréhension, il y a valorisation d’une culture centrale, et dévalorisation concomitante des cultures régionales : la langue n’étant pas seulement une meilleure langue, mais représentant le véhicule d’un savoir supérieur, destiné à supplanter, pour le plus grand bien de tous, ce qui est irrationnel, ce qui est resté au stade de la simple nature, qualifiée d’ignorante.
- il y a enfin le rôle joué par la langue dans la symbolisation de l’unité nationale, de la fonction de représentation qui lui est reconnue par rapport à cette unité : M. de Certeau notait à ce propos comment la langue avait pris en France, dans cette fonction de symbolisation, le relais d’un symbole déchu, le corps du roi décapité.
Même si elle se situe dans un contexte bien différent, la restauration d’une langue nationale que constitue l'arabisation présente un certain nombre d’analogies avec la situation de la Révolution française, la situation maghrébine étant toutefois plus complexe du fait du double phénomène de bilinguisme et de diglossie.
Si on envisage le premier trait, le fait d’être entendu de la base, on constate que la substitution de l’arabe à l’ancienne langue du pouvoir équivaut à s’adresser en arabe soit à des citoyens cultivés en français, soit à des citoyens ignorant le français et l’arabe classique, la proportion de lettrés en arabe étant relativement faible. De toute façon, la langue de conversation et de communication courante est un dialecte : le terme logique de l’imposition de l’arabe comme langue d’unité nationale serait d’en faire la langue comprise et parlée par toute la nation (opération qui implique, comme dans le cas français, la disparition progressive, mais programmée, des dialectes, c’est-à-dire de la langue maternelle actuelle). Or il n’y a pas de disposition, dans la société actuelle, à la renonciation aux dialectes et à l’utilisation de l’arabe classique, même sous sa forme moderne, comme langue courante. Dans ces conditions, la suppression des dialectes ou leur intégration dans une langue nationale dont la trame classique aurait perdu de sa rigueur, de sa « pureté » ne pourrait s’effectuer qu’au cours d’un processus de longue durée.
D’autre part, l’instauration d’une langue nationale est en corrélation avec la valorisation d’une culture centrale aux dépens des cultures populaires, mais aussi, dans le cas de l'arabisation, d’une culture nationale aux dépens d’une culture étrangère. En France, cette valorisation a été celle d’une culture fondée sur la rationalité, sur la science, devant se substituer à tout ce qui était spontané, qu’il s’agît de la langue, de la santé, de l’hygiène, de l’habitat, etc. Sur ce point apparaît une ambiguïté au Maghreb. En effet, si on veut y restaurer une langue nationale, on ne s’y oppose pas à la culture que la langue française à véhiculée ; au contraire, on veut en reprendre tout le contenu à l’intérieur de la langue arabe. Cette langue devrait ainsi prendre le relais de l’opération de « modernisation » de la culture entreprise dans le cadre de la langue française durant la colonisation, alors qu’elle a représenté, durant toute cette période, l’élément de résistance à la pénétration coloniale. De plus, dans cette opération, la langue arabe se voit chargée de la liquidation des dialectes, non plus seulement au nom de l’unité islamique, mais au nom du rationnel, de l’unité nationale. On lui demande en quelque sorte d’utiliser le prestige qu’elle a en tant que langue de la croyance, de la tradition, pour véhiculer un contenu qui était précédemment identifié comme étranger au milieu et porté par une langue étrangère. A défaut de représenter une culture arabe originale, la langue arabe semble prendre le relais du français dans une entreprise de quadrillage de la société, selon l’expression de Michel Foucault, sous le signe du pouvoir du rationnel, empruntant le langage de la tradition pour faire admettre ce nouveau pouvoir, et l’imposer plus sûrement face à la culture populaire.
En ce qui concerne la symbolisation de l’unité nationale, et le rôle éventuel que peut tenir la langue dans ce domaine, il faut tenir compte de la situation aux deux bouts de la chaîne : à la base, selon la plus ou moins grande diversité linguistique, au sommet, selon le symbole suprême dans lequel s’incarne l’unité nationale. Il est certain que l'arabisation prend un caractère plus dramatique dans les pays qui, tels l’Algérie et le Maroc, comportent des minorités berbérophones importantes. Le pluralisme est toutefois mieux accepté au Maroc qu’en Algérie ; au Maroc, en effet, l’unité nationale est symbolisée dans la personne du roi, auquel est reconnue une légitimité à la fois juridique et islamique : l’unité étant incarnée à ce niveau ne se sent pas menacée par la diversité ethnique, linguistique et même politique. En Algérie, la nation n’a pas de symbole d’unité équivalent, les élites n’ont pas d’autre légitimation historique que leur prise de pouvoir : aussi la langue arabe (associée à l’Islam) tend-elle à jouer le rôle symbolique de personnification de la nation. Telle est l’origine des colorations différentes prises par l'arabisation dans les deux pays : en Algérie, une arabisation jacobine, intolérante au pluralisme linguistique et culturel, utilisant la force traditionnelle de la langue arabe dans son lien à l’Islam, essaie de forger un symbole de l’unité nationale, assurant la légitimation du pouvoir en place ; au Maroc, l'arabisation poursuivie vise simplement à conforter les bases de la monarchie, en inculquant et reproduisant les valeurs traditionnelles qui en font reconnaître la légitimité.
Langue arabe et identité L'arabisation est revendiquée au Maghreb parce qu’elle doit permettre la restauration de la personnalité nationale, parce que la langue arabe est la principale garante d’une identité propre, la seule à pouvoir empêcher l’assimilation, la dissolution dans la culture étrange (introduite par la colonisation, toujours présente par l’intermédiaire des multiples échanges économiques et culturels avec le monde extérieur non arabe), la seule à pouvoir préserver une authenticité (asâla) propre. Or c’est précisément parce que la langue joue sur l’identité qu’elle concerne le pouvoir, qu’elle lui donne prise sur un objet qui, à tort ou à raison, est considéré comme fondamental au plan individuel et collectif.
Question délicate entre toutes : quel est l’objet ainsi mis en cause ? De quelle identité s’agit-il ? A quoi peut correspondre cette notion d’identité ? Quelle peut être dans cette perspective la finalité de l'arabisation ? Au delà du simple fait de parler, d’écrire ou de comprendre la langue arabe, que veut-on et que promet-on ? La perspective proposée est-elle celle d’être arabe, musulman, ou d’être plus particulièrement algérien, tunisien, marocain ? Est-ce d’être cela avant tout et exclusivement, ou de l’être entre autres choses ?
Avant d’examiner le contexte actuel, il est utile de considérer la fonction de la langue arabe par rapport à l’identité, telle qu’elle est rapportée par la tradition, et telle qu’elle est probablement ressentie plus ou moins consciemment par l’opinion.
Un hadith[9] définit l’arabité par la langue arabe : « Est arabe quiconque parle arabe », aurait dit le Prophète. Ce hadith, dans la réticence qu’il exprime de la part de l’Islam pour les particularismes ethniques, traduit une tentative de substituer une identité linguistique à une identité ethnique, même si l’on tient compte du fait que, dans la définition de l’identité en question, l’appartenance à l’Islam semble jouer un rôle non négligeable.
S’agissant de la période actuelle et du sens de l'arabisation, on peut se demander quelle fonction elle assume –ou quelle fonction on veut lui faire assumer- dans la définition d’une identité nationale. Si on laisse de côté la définition de la nationalité –qui comporte généralement une identité d’origine, et une identité acquise par décret- on observe que sont considérés comme nationaux par l’opinion ceux qui sont nés dans le pays d’une ascendance maghrébine, qui parlent la langue du pays, et qui sont musulmans (en ce sens, les «naturalisés par décret » qui ne remplissent pas ces conditions sont rarement considérés comme de véritables nationaux). Ceci permet du moins de constater la complexité de la référence à une identité nationale, dans laquelle les idéologues font entrer d’autres composantes, telles que l’histoire commune, la référence géographique, etc.[10].
Cette notion d’identité pour centrale qu’elle soit, n’en est pas moins complexe. Des débats récents ont manifesté la différence de conception qui oppose certains ethnologues aux psychanalystes, une conception ethnologique considérant l’identité comme l’image de soi imposée par la société à la théorie psychanalytique qui la voit se nouer dans le rapport de l’enfant à la mère. D’autre part, on a actuellement tendance à souligner la distinction entre le Moi et le sujet, et à mettre en évidence le caractère imaginaire du Moi. Enfin, l’unité du sujet, à laquelle correspondrait une notion stricte de l’identité, a été profondément mise en question par Freud.
Toutefois, le discours qui justifie l'arabisation fait continuellement référence à la notion d’identité, et nous devons nous demander à quoi correspond une notion qui, même si les spécialistes ne lui reconnaissent pas toujours un caractère opératoire, est pourtant efficace, comme son utilisation en témoigne. Il s’agit d’une identité perdue ou qu’on risque de perdre et qui sera restituée. Quel est donc cet objet dont le pouvoir dit : «On vous l’a pris, nous allons vous le rendre » ? A quel imaginaire est-il référé ? Pour tenter de répondre, on peut examiner les référents de chaque langue.
La langue française réfère à la colonisation et à la dépendance, mais aussi au développement, au modernisme, aux schèmes de consommation, à tous ces thèmes qui constituent le fondement du discours national. Ces objets que le pouvoir laisse espérer, représentent la récompense à venir des efforts et des sacrifices du présent ; on y est attaché, on ne veut pas y renoncer, même dans l’imagination. Peut-être le fait de ne pas les posséder, mais de les espérer, leur mode de possession imaginaire, ne font-ils que renforcer l’attachement qu’on leur porte, le désir qu’on a de ne pas les perdre. De sorte que, tout autant que les élites favorisées qui bénéficient déjà des avantages promis, les couches défavorisées sont sensibles au discours développementaliste et à ses promesses. On doit donc constater que, derrière la langue française, et ses rapports avec la science, la technique, le monde occidental, existe un univers –réel ou imaginaire- auquel on est attaché.
Au contraire, la langue arabe, au Maghreb, réfère principalement à l’Islam, à un passé historique, à une identité située dans le passé, à la pureté des origines, mais aussi à la religion, au monde de l’au-delà, objet de croyance sinon de pratique. Bref, elle réfère à des objets qu’il faut constamment retrouver, à toute époque, dans leur pureté originelle, à des objets différents du monde moderne, mais essentiels. Dans cette problématique de déchirement, la question essentielle semble bien être celle-ci : « comment conserver l’un sans perdre l’autre ? »
Y a-t-il dans l’arabe référence à un monde non sacral? L'opération d’arabisation vise à faire de l’arabe la langue d’une civilisation moderne, à lui faire tenir absolument toutes les positions occupées, dans le domaine de la modernité, par la langue française. La situation au Maghreb actuel montre que cet objectif est loin d’être atteint. Dans cette direction, il pourrait être fait recours à une certaine identification à l’Orient arabe où la langue arabe s’est profondément insérée dans le contexte moderne ; dans le contexte actuel, cette identification est absente : l’Orient arabe est ignoré comme culture, refusé comme modèle. L’identification avec la modernité occidentale a été telle que le Maghreb récuse tout modèle qui lui viendrait du monde arabe.
Si l'arabisation est en référence à l’identité, elle se présente comme un jeu du pouvoir sur une identité perdue, et sur la promesse de sa restitution. Mais ce qui précède nous conduit en réalité à la multiplicité des identités auxquelles se réfère la société maghrébine. Selon la remarque de Roland Barthes[11] si l’on devait se poser, à propos du français, des questions relatives à l’identité, à l’authenticité, il serait difficile de répondre, et on serait conduit à constater le caractère multiple du sujet : c’est par la pluralité des langages, reflétant la pluralité des désirs, que passe une véritable libération du sujet humain. La solution serait peut-être d’admettre le caractère plural de l’identité, de toute identité, y compris celle des Maghrébins. Le sens de l'arabisation serait alors de restituer cette pluralité, en réintégrant au sein de cette identité multiple, un élément que la colonisation avait voulu en effacer. Mais il faudrait que la chose soit dite, que l'arabisation ne soit pas présentée comme la substitution d’une identité pure, authentique, vraie, à une identité bâtarde : on peut se demander si une telle clarté laisserait au pouvoir les mêmes possibilités de manœuvre.
Dans cette ligne, Michel de Certeau observe que le mode de relation de la langue à l’identité varie selon qu’on est monolingue ou multilingue : une seule langue renvoie à une perspective d’identité, tandis que plusieurs langues, en renvoyant à des pratiques sociales différentes, aboutissent à une plus grande autonomie du sujet, qui n’a plus tendance à s’identifier à une seule langue. En ce sens, la situation de bilinguisme forcé dans laquelle se trouve le Maghreb, au lieu d’être considérée comme une entrave à une véritable conscience de son identité, pourrait bien en réalité représenter une forme supérieure d’identité plurale, plus enrichissante pour l’individu et le milieu, à condition toutefois d’être reconnue et assumée comme telle. Perspective d’autant plus intéressante que le Maghrébin, outre ces deux langues de culture qu’il est conduit à assimiler, dispose d’une langue maternelle, dialecte arabe ou berbère, qu’il conviendrait de prendre en compte dans l’inventaire de la richesse d’une identité maghrébine plurale. Ce qui supposerait, dans le même temps, que soit résolu autrement le problème du rapport entre unité nationale, identité, un véritable pluralisme dans l’unité nationale, au plan linguistique et culturel : vision diamétralement opposée à celle qui s’est imposée depuis deux siècles au jacobinisme français, et qui tend à servir de modèle aux jeunes nations.
Langue et loi L'arabisation concerne également le pouvoir dans les relations étroites qui s’établissent entre langue et loi. En effet, enseigner une langue, c’est toujours imposer une loi. Comme Roland Barthes le remarquait, toute langue est coercitive, parce qu’elle implique une certaine idéologie du sujet, parce qu’elle oblige à dire certaines choses, parce qu’elle comporte ce que Jakobson appelle les « rubriques obligatoires d’une langue », parce qu’elle structure le sujet et le contraint à entrer dans un ordre symbolique.
Dans le contexte du Maghreb, si on considère que toute langue impose une loi, on doit bien en considérer la multiplicité. Il y a d’abord celle de la langue maternelle, arabe ou berbère, loi de l’intériorité, prolongée, d’une certaine façon, par l’entrée dans la langue arabe qui se greffe sur le même canevas de valeurs. Mais déjà l’intervention plus ou moins massive de la langue française au cœur de ces dialectes y porte une autre marque.
L’introduction du français au temps de la domination coloniale a été celles d’une autre loi. Ses effets demeurent aujourd’hui : intériorisée, elle se perpétue à travers la langue toujours présente du fait de l’enseignement et de l’extension de la francisation que celui-ci entraîne.
L'arabisation est présentée comme une œuvre de décolonisation culturelle, de substitution d’une langue nationale à une langue de domination. Cependant, comme toute langue, elle inclut une loi : bien que ressentie parfois comme liée à l’imposition de l’Islam, elle est en réalité celle de la loi du pouvoir national.
L’analyse des résistances que rencontre l'arabisation permet de cerner les obstacles qui s’opposent à l’établissement de cette nouvelle loi. Il y a d’abord celle offerte par la loi antérieure, la loi coloniale intériorisée et solidement ancrée sur les notions de progrès, de modernité et de civilisation ; au regard de cette conception, l'arabisation ne peut être qu’un retour au passé, à l’obscurantisme, une réinsertion dans le sous-développement. Le conflit est d’autant plus violent qu’il n’apparaît pas évident que l'arabisation saura prendre en charge, réassumer, tous les mythes et toutes les valeurs incarnées dans la loi antérieure. Or, précisément, le pouvoir qui a succédé au pouvoir colonial, et cherche sa légitimation à la fois dans la reprise des promesses de modernité, et dans l’affirmation d’une différence ‘intérieure’, ne peut réussir dans cette tâche que si l'arabisation préconisée peut supplanter l’ancienne loi, en lui ajoutant la teinture d’authenticité, d’appropriation, conçue comme l’antidote de la dépossession.
D’autres résistances viennent de la langue dialectale, arabe et surtout berbère, on peut dire, de la langue maternelle. La vitalité des dialectes traduit un refus d’effacement, et s’accompagne, de nos jours, d’une prise de conscience de cette résistance. On a peu analysé la nature de ces réticences : s’agit-il d’un refoulé de longue date, inscrit dans la culture, traduisant une résistance à la première islamisation-arabisation (elle aussi imposition d’une loi nouvelle et extérieure), opération jamais terminée comme en témoignent les luttes incessantes de l’orthodoxie contre les superstitions et les déviations populaires ? S'agit-il d’une résistance d’un autre type, analogue à celle que, comme l’indique Michel de Certeau, les régions rurales ont opposée à la dévalorisation de leurs parlers et de leurs cultures, agressés au nom de la science et du rationalisme ? S'agit-il d’une résistance plus récente à ce qui est senti comme volonté d’emprise d’une technocratie centrale sur l’ensemble de la vie du pays, à une mainmise toujours plus précise et plus dense du pouvoir sur la vie quotidienne, intrusion dont on apprécierait les avantages, mais dont on craindrait les débordements ? Quelle que soit la nature de la résistance, le fait essentiel est qu’il s’agit de la résistance d’une langue maternelle que la nouvelle arabisation tend à exclure de son champ.
Il est certes difficile d’apprécier la portée de ce rejet de la langue maternelle hors de l’horizon de la culture. Selon Janine de la Robertie, si l’enfant en reste à la langue de la mère, il sera passéiste, psychotique ou fou : il doit passer par un désert, pour accéder au symbolique, à la langue du père, de la loi, des autres : processus particulièrement intéressant à observer quand on le voit coïncider avec le passage effectif d’une langue à une autre. Peut-on assimiler l'arabisation à cet arrachement à la mère qui constituerait l’adulte en lui imposant la loi du père ? On peut en faire l’hypothèse. Sur un autre plan, les résistances opposées à l'arabisation en tant qu’imposition d’une nouvelle loi expriment sans doute une résistance globale à l’entreprise de quadrillage de la société que conduit le pouvoir national au nom de la rationalité. Cette résistance est accentuée par l’inquiétude de perdre des objets valorisés par la loi coloniale, et par la persistance, dans l’inconscient, de liens à des cultures refoulées, à des autonomies interdites, auxquelles les attaques du nationalisme rationaliste moderne peuvent donner une nouvelle vigueur.
Les multiples facettes du problème de l'arabisation au Maghreb convergent sur quelques interrogations fondamentales : quel est le sens de l'arabisation ? A quoi se réfère-t-elle radicalement ? Dans les difficultés qu’elle suscite, les attraits et les craintes qu’elle provoque, il semble que ce soit l’indétermination, l’indéfinition de son terme qui créent l’obstacle majeur. Au cœur du problème se situe la question de la langue, de son rapport au pouvoir, à la société, à la culture mais aussi du rôle qu’elle assume par rapport à l’identité. Comme le notait Jacques Berque, «Un langage sert non à parler, mais à être».
Aux incertitudes qui pèsent sur la langue, s’ajoutent celles qui concernent spécialement la langue arabe : langue surgie des profondeurs de l’Arabie, mais qui a eu un impact culturel et idéologique tel que la place réelle qu’elle occupe dans un monde en totale mutation est loin d’être claire. Comme l’affirmait Jamal-Eddine Bencheikh, s’il y a eu beaucoup d’expériences, souvent malheureuses, d’arabisation, l’échec d’aucune d’entre elles ne peut être interprété comme un échec de la langue arabe : il concerne seulement les conditions dans lesquelles a été tentée et réalisée cette expérience.
L'arabisation engage profondément le devenir global de la société maghrébine, et elle participe de ses incertitudes. Vers quel type de société s’oriente-t-on, du point de vue linguistique, mais aussi du point de vue culturel et idéologique ? L'arabisation est parfois présentée comme la réintégration au sein d’un monde qu’on aurait quitté, mais dans le même temps, la pratique l’inscrit comme un élément à restituer au sein d’un multilinguisme déjà imposé par les faits, et reproduit par les structures établies après l’indépendance.
La situation de fait du Maghreb révèle la coexistence d’identités multiples exprimées par des langages spécifiques. Le problème est finalement de savoir si cette pluralité doit être considérée comme un avantage, une richesse à sauvegarder ou comme une tare, un handicap à réduire. Une conception étroite de l’identité, conçue comme un objet réel, souvent couplée à une conception jacobine de l’unité nationale, conduirait à vouloir l’effacer. Le fait que le problème de l'arabisation soit posé dans un contexte d’édification de la nation pousse les pouvoirs à l’utiliser dans leur stratégie : c’est la tentation de tout pouvoir que de jouer sur l’identité, sur la crainte de ne pas être et l’espoir d’être plus, afin de consolider son emprise.
Si la chance réelle de voir réalisée l'arabisation - une arabisation qui ne serait pas une coercition, mais une libération - réside dans son inscription dans un cadre pluraliste, on peut craindre de la voir compromise par son insertion inévitable dans un contexte politique, du fait de la relation étroite existant entre langue et pouvoir. Imaginer un pouvoir qui admettrait le pluralisme, qui se nierait comme centre unique relève, sans doute, dans les circonstances présentes, de l’utopie. Si la liberté est multiple, le pouvoir est unificateur, et tend de lui-même à l’intolérance. En elle-même, l'arabisation peut être un élément de libération ou d’oppression ; ses chances d’aboutissement demeureront faibles tant qu’elle ne représentera qu’un pion, avancé ou reculé selon les cas, dans la stratégie des pouvoirs nationaux.
[1] Salah Garmadi, "Les problèmes du plurilinguisme en Tunisie", in Renaissance du monde arabe, SNED Alger, Duculot, 1972, p.309-322.
[2] Ahmed Moatassime, "Bilinguisme sauvage au Maroc", Tiers-Monde, N°59-60, juillet-déc.1974
[3] Salah Hamzaoui, "L'arabisation, problème idéologique", Revue Tunisienne des Sciences Sociales, N°44, 1976, p.173-219
[4] Hichem Skik, "Aspects du bilinguisme à l'école primaire",
[5] L'essentiel des idées qui suivent ont été présentées et discutées lors d'une réunion tenue dans le cadre des Entretiens interdisciplinaires organisés par Jacques Berque au Collège de France le 11 mai 1977, à laquelle ont notamment participé Roland Barthes, Jamal Eddine Bencheikh, Michel de Certeau, Janine de la Robertie, Ahmed Moatassime, Abdelghani Meghrebi et Abdelmagid Turki. Que tous soient ici remerciés de leurs suggestions et de leurs critiques.
[6] Il s'agit ici, tant pour la langue classique que pour la doctrine, d'une rigidité relative : s'il est bien évident que les deux ont évolué au cours des siècles, il faut admettre que cette évolution a été contenue, limitée, par rapport à l'évolution normale d'une langue appelée à assumer tous les usages de la communication, de la langue parlée à la langue de culture
[7] Fait qui est illustré par le phénomène inverse de reconstruction de généalogies destinée à légitimer des positions de force ou de prestige nouvellement acquises.
[8] Michel de Certeau et alii, Une politique de la langue, Gallimard, 1975 et R.Balibar et D.Laporte, Le français national, Hachette, 1974.
[9] Un hadith est le texte fixé d'une tradition orale remontant au Prophète. Dans le cas présent, on dit que, parmi les compagnons du Prophète qui le suivaient dès la première heure figuraient trois non-arabes : Suhayb ar-Rûmi, Salmân al-Fârisi et Bilâl al-Habashi. L'entourage s'étant interrogé sur leur identité, le Prophète aurait dit que "l'arabité ne vient pas du lignage, mais de la langue" (al-'urûba laysat min an-nasab bal min al-lisân). La référence exacte de ce hadith souvent cité est difficile à établir.
[10] Il existe, spécialement en langue arabe, une production abondante sur le problème de l'identité et de la personnalité nationale. On peut citer à titre d'exemple l'ouvrage de Bachir Ben Slama, Al-shakhsiya at-tûnisiya, Tunis, 1974, un numéro spécial de la revue algérienne Al-Asâla, consacré à l'arabisation (1974j) et pour le Maroc, les écrits de Allal El Fassi.
[11] Intervention aux entretiens interdisciplinaires mentionnés ci-dessus : référence valable également pour les noms des personnes évoqués dans les pages suivantes.


Gilbert GHrandguillaume

Anthropologue arabisant,
spécialiste du Maghreb et du Monde arabe.

Tel. 33.1.60 23 62 88
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